Shavouot

La Meguilah de Ruth

La Méguilah de Ruth, un récit aux multiples prolongements ( journal n°71 de mai 2023)

La Méguilah de Ruth fait partie des Ecrits (כתובים) la troisième partie de l Bible (תנ׳ך) et plus spécifiquement des 5 rouleaux que sont le Cantique des Cantiques, Ruth, les Lamentations, l’Ecclésiaste, Esther. Notre tradition les associe à certaines fêtes ou événement marquants où les textes sont lus à la synagogue. Ainsi en est-il des deux seuls ouvrages bibliques qui portent un nom féminin : Esther lors de la fête de Purim et Ruth à Shavouot.

Qui a rédigé le livre de Ruth ? Le Talmud de Babylone (Traité Baba Bathra 14b) nous apprend que le prophète Samuel a écrit son propre livre, le livre des Juges et le livre de Ruth, qui est donc le premier des rouleaux à avoir été écrit. Le livre de Samuel nous raconte l’instauration de la monarchie. Les deux rouleaux de Salomon (le Cantique des Cantiques, l’Ecclésiaste), les Lamentations de Jérémie avant la destruction du premier Temple et Esther dont l’action se déroule après, sont donc plus récents. C’est pourquoi le même texte du Talmud, le nomme en premier dans la liste des Ecrits. Le livre de Ruth dans la Bible a été placé beaucoup plus tardivement (Moyen-Age)  après  les Psaumes, les Proverbes, le livre de Job et le Cantique des Cantique..

L’histoire narrée par la Méguilah de Ruth est très importante : elle est fondatrice de la dynastie du roi David.  Les principaux personnages en sont Noémi, sa belle-fille Ruth et Booz. Voici le début du texte : « A l’époque où gouvernaient les Juges, il y eut une famine dans le pays d’Israël », Noémi  son époux Elimelekh et leurs deux fils quittent la terre d’Israël. « pour aller séjourner dans les plaines de Moab ». D’après le livre de la Genèse, les moabites sont issus de l’union incestueuse de Loth et de l’une de ses filles. L’union entre hébreux et moabites  est interdite (Deut 23-4 ) :

לֹא-יָבֹא עַמּוֹנִי וּמוֹאָבִי, בִּקְהַל יְהוָה: גַּם דּוֹר עֲשִׂירִי, לֹא-יָבֹא לָהֶם בִּקְהַל יְהוָה עַד-עוֹלָם

Un Ammonite ni un Moabite ne seront admis dans l’assemblée du Seigneur; même après la dixième génération ils seront exclus de l’assemblée du Seigneur, à perpétuité.

Malgré cela,  les deux fils, Makhlon et Kilion épousent deux sœurs moabites. Ruth et Orpah. Au bout de quelques années tous les protagonistes mâles de l’histoire sont morts. Noémi reste seule avec ses deux belles-filles, car celles-ci sont sans descendance. La famine en terre d’Israël a cessé et Noémi veut retourner à Bethléem. Ruth, la moabite, l’étrangère, décide alors de rester avec sa belle-mère tandis que sa sœur Orpah retourne chez les siens. La relation très forte entre Ruth et Noémi, la belle-fille et la belle-mère mérite d’être soulignée. Ruth s’attache aux pas de Noémi et déclare « Où tu iras, j’irai; où tu demeureras, je veux demeurer; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu;  là où tu mourras, je veux mourir aussi et y être enterrée. Que l’Eternel m’en fasse autant et plus, si jamais je me sépare de toi autrement que par la mort! ». Les rabbins ont interprété ce texte comme un dialogue entre Noémi et Ruth dont nous n’avons que la réponse. Nos sages nous apprennent que Noémi enseigne à Ruth les fondements du judaïsme durant tout le trajet qui les mènent de Moab à Bethléem.

Quand Ruth et Noémi arrivent à Bethléem, c’est l’époque des moissons – la fête de Shavouot est également appelée חג הקציר  (‘Hag hakatsir), la fête de la moisson- . C’est pourquoi la méguilah de Ruth est lue à Shavouot.

ruth et boozNoémi informe Ruth du droit qu’ont les pauvres de ramasser le grain laissé par les moissonneurs : Quand vous moissonnerez la récolte de votre pays, tu laisseras la moisson inachevée au bout de ton champ, et tu ne ramasseras point la glanure de ta moisson. Lévitique 19-9) . Ruth va glaner des épis dans les champs et rencontre un parent de son beau-père Elimelekh, Booz alors âgé de 80 ans. Celui-ci lui dit “On m’a fidèlement rapporté tout ce que tu as fait pour ta belle-mère après la mort de ton mari: que tu as quitté ton père, ta mère et ton pays natal pour te rendre auprès d’un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avant-hier. Que l’Eternel te donne le prix de ton œuvre de dévouement! Puisses-tu recevoir une récompense complète du Seigneur, Dieu d’Israël, sous les ailes duquel tu es venue t’abriter!” ( Ruth 2,11-12). Booz est généreux avec Ruth qui revient chez Noémi avec sa « moisson ». Cette dernière pousse Noémi à aller dormir aux pieds de Booz. Idylle entre Ruth et Boaz ou volonté divine, leur rencontre se termine par un mariage. Commentant ce passage de Ruth, les rabbins nous apprennent alors que l’interdiction de mariage entre hébreux et moabites et l’impossibilité de se convertir ne s’appliquent qu’aux hommes. (voir Mishna Yebamot 8-3). La conversion de Ruth, grâce à l’enseignement de Noémi, est agréée et elle peut ainsi se marier avec Booz. De cette union naîtra Obed puis Ishai (Jessée) puis David qui lui-même est selon la tradition l’ancêtre du Messie.

Ainsi le vœu formulé par Booz est exaucé, le dévouement de Ruth récompensé. Le Dieu d’Israël, sous les ailes duquel elle est  venue s’abriter,  lui a donné la plus complète des récompenses. Comme le souligne Israël Levi qui fut à la fois exégète et grand rabbin de France de 1920 à 1939 : « C’est l’origine étrangère et la conversion de Ruth qui sont vantées dans le livre qui porte son nom : son mérite lui a valu de compter parmi ses descendants le plus illustre roi d’Israël, David ».

Le livre de Ruth au-delà de la narration a suscité et suscite nombre de questionnements. Quel est le dessein divin, quel rapport existe-t-il entre la providence divine et le libre-arbitre ? Quelles sont les conditions nécessaires à la conversion au judaïsme ? Quelle conduite tenir envers les prosélytes ? Quel est la place de l’étranger dans le judaïsme ? Pour quelles raisons, l’époux et les fils de Noémi sont-ils morts ? Et pourquoi n’ont-ils pas eu de descendance ?  Que nous apprend ce texte sur les rapports familiaux, sur le mariage, sur la transmission et en particulier de celle des fautes commises par les générations antérieures ?  Si l’histoire paraît simple et sa conclusion claire et édifiante, les réflexions qu’elle suscite sont quant à elles beaucoup plus complexes.

Dani BITTER

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