Rosh Hashana

La dimension universelle des fêtes de Tichri (septembre 2022)

Tichri, le premier mois de l’année commence par Rosh Hashana (Nouvel An), Kippour (Grand Pardon), Souccot (Fête des cabanes). Ces trois fêtes sont parmi les plus importantes solennités juives. Pendant les Yamim Noraim, les jours terribles qui commencent à Rosh Hashana et se terminent à Kippour, nous prions pour que Hashem nous inscrive dans le livre de la vie. Nous faisons une introspection, un retour sur nous-mêmes, en un mot techouva. A Rosh Hashana et à Kippour, nous écoutons le shofar dont les sonneries nous rappellent la révélation du Sinaï : (Exode 19-16) il y eut des tonnerres et des éclairs et une nuée épaisse sur la montagne et un son de cor(shofar) très intense. Tout le peuple frissonna dans le camp. Cinq jours après Kippour, nous commémorons Souccot la fête des cabanes qui nous rappelle les quarante années d’errances de nos ancêtres dans le désert. La dernière de ces fêtes de Tichri est Sim’hat Torah, lors de laquelle nous finissons la lecture annuelle de la Torah et recommençons cette même lecture depuis le commencement (Bereshit). Ces fêtes sont vécues de l’intérieur d’Israël, de la foi d’Israël et de la communauté d’Israël, mais elles portent en elles une dimension universelle. Le message de Rosh Hashana, celui de Kippour ou celui de Souccot interpelle non seulement l’homme juif mais tout homme, comme créature de D.ieu. La dimension universelle y est présente davantage que dans les fêtes plus « nationales » comme Pessah qui rappelle la sortie d’Egypte, la naissance du peuple d’Israël et Shavouot qui rappelle le don de la Torah.

 Voici quelques exemples rapides pour illustrer en quoi chaque fête, chaque solennité, Rosh Hashana, Kippour ou Souccot, porte en elle, chacune à sa manière une dimension qui concerne l’homme en général.

Prenons tout d’abord Rosh Hashana. La fête est marquée par des prières à la maison et à la synagogue, à la maison par le repas de fête avec son rituel (Seder de Rosh Hashana), à la synagogue par le Moussaf lors duquel le fidèle va entendre les 100 sonneries du Shofar.  Nos sages nous rappellent que Rosh Hashana « est » le jour de la création de l’homme, et non pas celui de la création du monde :  nous répétons lors du Moussaf de Rosh Hashana, le piout  הַיּוֹם הֲרַת עוֹלָם  , aujourd’hui le monde a donné naissance [à l’homme]. L’homme, Adam, a pour mission de terminer l’œuvre de la création divine. Créé à partir de la terre (en hébreu Adama), Adam n’est pas juif. Le premier juif si on peut dire, ou le premier hébreu (la Bible n’utilise jamais le mot Juif) c’est Abraham. Or Rosh Hashana évoque Adam, le père de l’humanité toute entière.

Nous sommes tous frères et sœurs car nous sommes tous descendants d’un seul couple Adam et Eve :  ainsi, rappellent nos sages dans la Mishna ( Sanhédrin 4,5), aucun homme ne peut dire « mon père est supérieur à ton père » :  שֶׁלֹּא יֹאמַר אָדָם לַחֲבֵרוֹ אַבָּא גָדוֹל מֵאָבִיךָToutes les formes de visage, toutes les couleurs de peau procèdent d’Adam et Eve : l’européen, l’africain, l’esquimau, l’indien ou l’asiatique, tous sont issus de la même lignée. Tous les hommes sont égaux, ce qui nous oblige à évacuer toute notion de racisme : racisme et monothéisme sont incompatibles. Le message d’égalité et de paix dans le monde (שְׁלוֹם הַבְּרִיּוֹת) de nos sages est d’une portée universelle. Quand un groupe se croit supérieur à un autre, cela ne peut provoquer que des conflits. Malheureusement le XXème siècle et ce début du XXIème sont emplis de guerres, de massacres de génocides au nom d’une supposée supériorité de race ou de religion…

Considérons la fête de Kippour, journée de jeûne à l’issue de laquelle le devenir de l’homme est scellé pour l’année à venir. On se souhaite Gmar Hatima Tova (que ton inscription soit bien scellée).  Mais au-delà des prières, des slikhot que chaque fidèle adresse à D.ieu, nous lisons des textes qui concernent toute l’humanité. Ainsi au cœur de Kippour pendant Minha, moment solennel de l’Office, les fidèles lisent dans le rouleau de la Torah. Puis vient la Haftarah de Yona que de nombreux fidèles veulent absolument lire, mais qu’un seul aura le privilège de cantiler. Que nous dit ce texte très important ?  D.ieu appelle son prophète Jonas et lui ordonne (Jonas 1 :2) : “Lève-toi! Va à Ninive, la grande ville, et prophétise contre elle; car leur iniquité est arrivée jusqu’à moi.” . Jonas est un des rares prophètes désigné comme prophète seulement pour parler aux non-juifs et pas du tout aux enfants d’Israël. Les autres prophètes, ceux qu’on appelle les grands prophètes (Isaïe Jérémie, Ezéchiel) ou ceux qu’on appelle les petits prophètes (les 12 Prophètes) parlent toujours à Israël.  Si on considère les prophètes antérieurs comme Élie ou Elysée ils s’adressent aussi à Israël. Et bien sûr, le plus grand de nos prophètes, Moïse, parle uniquement à Israël, comme l’indiquent de nombreux versets :

וַיְדַבֵּר יְהוָה, אֶל-מֹשֶׁה לֵּאמֹר ׃ דַּבֵּר, אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל

l’Eternel parla à Moïse en lui disant : Parle aux enfants d’Israël etc…

D.ieu demande donc à Jonas non pas de prophétiser auprès des enfants d’Israël, mais d’aller à Ninive pour que cette société non juive, corrompue et violente, revienne vers D.ieu comme si D.ieu était indisposé et gêné par le mal que produit une société humaine : s’il y a de la violence, s’il y a de l’injustice, s’il y a de la corruption, ce mal ne reste pas sur terre, il monte vers D.ieu.  Celui-ci délègue donc son prophète pour que cesse ce mal qui a lieu dans une ville non juive. Ainsi au cœur de Kippour, au cœur de la solennité la plus grande du judaïsme, au moment où l’homme juif ou la femme juive renouent avec leur identité la plus intime, où ils font leur bilan moral et spirituel c’est en tant que juifs qu’ils sont interpellés par l’universel. Comme il est écrit dans la Torah (Exode 19 :6)  vous serez pour moi une dynastie de pontifes et une nation sainte וְאַתֶּם תִּהְיוּ-לִי מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים, וְגוֹי קָדוֹשׁ

Le peuple juif doit se rappeler que sa vocation n’est pas seulement de s’assumer lui-même comme le peuple qui garde l’alliance conclue avec D.ieu au Sinaï, mais de témoigner  auprès des nations de l’existence de D.ieu, le créateur de toutes choses.

Examinons la fête de Souccot (la fête des cabanes) qui se conclut par Shmini Hatseret qui clôture non seulement la fête de Souccot mais aussi le cycle des fêtes de pèlerinage (Pessah,Shavouot,Souccot) . Selon la Torah, lors de Succot, la dernière fête de pèlerinage, des offrandes devaient être apportées au Temple et des sacrifices offerts. Analysant la description précise du texte de la Torah (Nombres, 29 : 12-18), Rashi nous précise que si l’on compte le nombre de taureaux qui étaient sacrifiés sur l’autel depuis le premier jour de Souccot jusqu’au dernier jour de Souccot (13 le premier jour, 12 le second et ainsi de suite) on obtient le nombre de 70 taureaux. Rappelons que ce nombre de 70 est toujours une allusion à l’universel, aussi bien dans la tradition écrite que dans la tradition orale.  En effet, l’universel est représenté symboliquement par le nombre de 70 nations correspondant aux 70 petits-fils de Noé qui se dispersent dans le monde après l’éclatement de l’humanité à Babel ; lorsque les langues sont mélangées et que chaque famille de la Terre va s’installer sur son territoire.  Ce sacrifice de 70 taureaux est fait au sein du Temple de Jérusalem et par ce nombre de 70, nos sages précisent que c’est un appel à toute l’humanité afin qu’elle se souvienne de l’alliance faite après le déluge entre D.ieu et les hommes. L’humanité doit ainsi respecter les 7 lois noahides décrites dans la Torah qui lui permettent d’accéder au divin. Cet épisode nous rappelle que l’universalisme du judaïsme et de la Torah se loge précisément au cœur de son particularisme. Le Temple de Jérusalem, lieu le plus saint du judaïsme encadré par des règles de pureté très rigoureuses, se révèle ainsi être le lieu de l’ouverture aux autres nations, de la sollicitude à leur égard, et en fin de compte, un lieu de paix pour l’ensemble de l’humanité.

Parmi bien des messages fondamentaux transmis lors des fêtes de Tichri, il nous a paru essentiel, en ces temps de violences, de repliement identitaire, et face aux enjeux auxquels l’humanité est confrontée (pandémies, climat, économie), de montrer qu’au cœur même des moments les plus solennels du judaïsme, la Torah réussit cette prouesse de faire résider l’universel au cœur même du particulier et ceci contrairement à la pensée commune selon laquelle l’universalisme et l’ouverture à l’autre requièrent comme préalable l’abandon des particularismes.

Dani Bitter

One Comment

  • jacques BARROS BARROS

    bravo et tous nos compliments pour ce site. Nous le transmettons aux enfants pour qu’ils le transmettent à leur tour!

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