Commémoration

Hommage à notre Maître Gérard Nahon ( février 2018)

Gerard NahonEn cette triste journée pluvieuse du 19 février 2018, quel ne fut notre effroi quand nous avons appris la disparition tragique et inattendue de notre ami Gérard Nahon. Cette annonce a suscité une très vive émotion pour toute notre communauté. Elle venait de perdre son Maitre, son Président d’honneur, son mentor et ami, un véritable pilier de notre synagogue. Son enterrement précipité le lendemain même à Jérusalem a frustré plus d’un membre de notre association qui aurait voulu l’honorer en ce moment comme on le ferait pour un père. Depuis le début de l’AJME, celui que nous appelions respectueusement notre Professeur et son épouse Maryvonne étaient de toutes nos activités, nos offices et nos fêtes, aidant, remerciant et encourageant tout le monde pour toute initiative. Constamment à l’écoute des autres, avec leur grande gentillesse et la modestie de ce grand homme, chacun de nous se sentait toujours très proche comme en famille.

En hommage à celui qui fut son professeur, le grand rabbin de France Haïm Korsia a écrit : « Le professeur Nahon aura marqué des générations de sa culture, de sa sagesse et de sa bienveillance ». Mais connaissons-nous bien qui était ce grand homme ?

Il naît à Paris en 1931 et sa famille séfarade doit fuir la capitale pour Pau et sa région pendant la guerre. Il y poursuit sa scolarité et y découvre probablement les communautés juives du sud-ouest. Sa passion de l’histoire et du judaïsme le mènera à devenir ce grand éducateur et penseur du judaïsme médiéval. C’est un riche parcours d’actions et de réflexions axées sur l’histoire des communautés juives de l’Europe du sud et des marranes. Dans son champ de recherche, de Tsarfat à la Navarre, de Séfarade à la Catalogne ou à l’Italie, de la Provinzia (Languedoc, Provence, Comtat- Venaissin), du Sud-Ouest de la France, du Maghreb et à la Terre sainte, voire à la Belgique ou la Roumanie, il redonné leurs lettres de noblesse et d’intérêt au judaïsme médiéval et séfarade. Saluons ici son palmarès prodigieux et son œuvre.

Diplômé d’hébreu moderne à l’INALCO, licencié ès lettres-philosophie, docteur en histoire de l’université de Paris X et diplômé de l’École pratique des hautes études (EPHE) (1976), éducateur à l’Oeuvre de secours aux enfants (OSE) , il a enseigné l’histoire et la géographie, avant d’entamer une carrière universitaire marquée par de nombreuses affectations : directeur d’études à l’EPHE, section des sciences religieuses, « judaïsme médiéval et moderne » (1977-2000), il est aussi conférencier au Séminaire Israélite de France de 1972 à 2000, professeur associé au Centre universitaire d’études du judaïsme de l’Université libre de Bruxelles (1972-1996) et chargé de cours à l’université d’Aix-Marseille à Aix-en-Provence de 1900 à 1996.

Il fait également carrière au Centre national de la Recherche Scientifique (CNRS) où il est attaché, puis chargé de recherches (1965-1978). Il y dirige l’UPR 208 « Nouvelle Gallia Judaïca » (1981-1992) consacrée à l’histoire des Juifs de France. Il est aussi secrétaire (1965) puis directeur de la Revue des Études Juives de 1980 à 1997 et directeur de la « Collection de la Revue des Études Juives ».

Gérard Nahon est l’auteur de nombreux ouvrages et articles sur l’histoire des Juifs et plus particulièrement des Juifs en France, les « Nations » juives portugaises d’Occident (XVIe-XVIIIe siècles) comme en atteste sa très riche bibliographie (1955-2010). Il a en outre collaboré à l’Encyclopaédia Universalis.

Ses principaux ouvrages

Gérard Nahon, Les Hébreux, Seuil, 1968

Gérard Nahon, Inscriptions hé-braïques et juives de France médié-vale, Commission Française des Ar-chives Juives, 1986

Gérard Nahon, Métropoles et péri-phéries séfarades d’Occident : Kai-rouan, Amsterdam, Bayonne, Bor-deaux, Jérusalem, Cerf, 1993

Gérard Nahon, La Terre sainte au temps des kabbalistes : 1492-1592, A. Michel, 1997

Gérard Nahon, Gilbert Dahan et Elie Nicolas, Rashi et la culture juive en France du nord au Moyen Âge, Peeters, 1997

Gérard Nahon, Juifs et judaïsme à Bordeaux, Mollat, 2003

Céline Balasse et Gérard Nahon, 1306, l’expulsion des juifs du royaume de France, De Boeck, 2008

Son oeuvre a été saluée par de nombreuses distinctions et prix:

Deuxième médaille du Concours des Antiquités de la France, Acad-mie des Inscriptions et Belles-Lettres (1987), pour son ouvrage Inscriptions hébraïques et juives de France médiévale

• Médaille d’or, Société Académique Arts-Sciences-Lettres, Paris (1992)

• Prix Jérusalem du Patrimoine d’Israël (1995)

• Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, Médaille pour le volume Juifs et judaïsme à Bordeaux, éd. Mollat (2003)

• Prix de la mémoire, Mémoire des familles des convois de Bordeaux (2004 et 2005)

Prix Eduard Feliu de l’Institut d’Estudis Món Juïc (2010)

Ses décorations

• Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres (2001)

• Chevalier de la Légion d’honneur. Les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur lui ont été remis le 30 septembre 2015 par le Grand Rabbin de France Haïm Korsia, membre de l’Institut, à Paris.

Voilà rapidement ce qu’était ce grand homme. Sa disparition est une perte incommensurable pour sa famille, pour notre communauté, et pour le judaïsme français.

Mon épouse et moi avons eu la chance d’avoir son amitié et celle de Maryvonne. Nous gardons précieusement quelques livres qu’il nous avait gentiment offerts et dédicacés. Il ne manquait pas de solliciter mes remarques quand nous en discutions ou quand nous parlions de Torah, d’Israël, et même de sa politique ou de famille. Il m’interrogeait souvent sur les coutumes et traditions du Maroc qu’il me situait toujours dans le cadre général du judaïsme séfarade qui le passionnait. J’ai toujours admiré l’extraordinaire esprit de curiosité de ce chercheur infatigable et pédagogue éclairé. Je n’oublierai jamais l’honneur qu’il nous a fait en étant le témoin religieux des mariages de nos filles.

Il restera pour nous, un formidable exemple de gentillesse, d’érudition, d’enthousiasme et de modestie. Plus que tout, c’est la lumière qui illuminait son visage, lorsqu’il enseignait ou parlait d’histoire qui nous reste en mémoire.

Je veux témoigner ici, en mon nom et au nom de la communauté de toute notre affection et nos très sin-cères condoléances à Maryvonne, Jacques, Myriam, Elisabeth, et Ariel, et à toute la famille Nahon.

Et pour nous tous, même si nous nous sentons un peu orphelins, le malheur d’avoir perdu ce grand homme et ami ne doit pas nous faire oublier le bonheur de l’avoir connu et aimé.

Que Gérard repose en paix et que son souvenir soit pour nous, une source de bénédictions !

ʹ הʹ בʹ צʹ נʹ ת

Jacques Barros, Président de l’AJME

(article paru dans le numéro 64 de Majme, le magazine de l’AJME)

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